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2015
Maurice Chaumont

Maurice Chaumont : une sociologie du changement social comme sociologie des réalités concrètes en train d’advenir

Présentation de l’article de Maurice Chaumont « Grèves, syndicalisme et attitudes ouvrières. Les grèves belges de décembre 1960-janvier 1961 »
Luc Van Campenhoudt

Résumés

Introduction de l’article de Maurice Chaumont « Grèves, syndicalisme et attitudes ouvrières. Les grèves belges de décembre 1960-janvier 1961 », initialement publié dans La Revue Nouvelle, puis dans Sociologie du travail, tome IV, n°2, avril-mai 1962, pp. 142-158 et repris dans un ouvrage d'hommage publié en 1989 aux Publications des Facultés universitaires Saint-Louis. Il est reproduit ici avec leur aimable autorisation.

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Texte intégral

  • 1 Devenues depuis « Université Saint-Louis – Bruxelles ».

1Maurice Chaumont est une personnalité unique dans le paysage sociologique belge francophone. Peu de professeurs d’université ont marqué aussi profondément et aussi durablement des générations d’étudiants, de chercheurs, de doctorants et de jeunes collègues qui ont appris l’essentiel du métier sous sa houlette, principalement en Belgique et en Amérique du sud. Très cultivé, suivant l’actualité de près, excellent théoricien avec un sens aigu de la réalité concrète, directeur de thèses maniant la maïeutique avec virtuosité, inventif et parfois iconoclaste au cours des séminaires de recherche, très respecté voire craint par ses collègues pour son intelligence et ses traits souvent cinglants, incapable de la moindre complaisance mais profondément bienveillant, enseignant qui empêchait ses étudiants d’ingurgiter passivement la matière et les forçait à réfléchir, Maurice Chaumont est pourtant resté peu connu des jeunes générations actuelles, surtout à l’international, et ses textes restent trop ignorés. Il faut dire qu’il a relativement peu écrit et pour l’essentiel durant les premières années de sa carrière à l’Université catholique de Louvain et aux Facultés universitaires Saint-Louis 1. Mais, avec le recul, ses articles, rédigés pour la plupart entre ses 24 et ses 30 ans, restent ce qu’ils se révélèrent dès leur publication : des modèles d’analyse sociologique. Celui qui est repris ci-après – « Grèves, syndicalisme et attitudes ouvrières. Les grèves belges de décembre 1960-janvier 1961 » en constitue un éclatant exemple. Maurice Chaumont est décédé précocement en 1987, à l’âge de 55 ans, à la suite de complications cardiaques.

2Le travail sociologique de Maurice Chaumont a toujours été étroitement lié à la vie sociale concrète de son époque, ses événements majeurs, ses conflits et ses transformations. Deux événements historiques, en fait liés, occupent une place particulière dans ses travaux et en ont marqué les orientations. Le premier est l’indépendance du Congo, proclamée le 30 juin 1960. Jeune universitaire, Maurice Chaumont rejoint la petite minorité des intellectuels lucides qui avaient compris avant les autres que le processus de décolonisation était inéluctable et qui réclamaient (en vain) que les autorités l’anticipent d’autant plus soigneusement que, selon lui, la colonisation et la décolonisation étaient loin de se réduire à un processus strictement politique. À partir de 1956, Maurice Chaumont écrira plusieurs articles sur ces événements et se spécialisera en sociologie du développement, qui deviendra un de ses principaux champs de recherche et d’intervention, principalement en Amérique du sud, notamment dans le cadre de l’Université fédérale de Rio Grande do Norte au Brésil.

3Le second événement est la grève de décembre 1960-janvier 1961 en Belgique, dite la « grève du siècle », provoquée par l’adoption par le gouvernement de centre-droit du social-chrétien Gaston Eyskens d’un ensemble de mesures d’austérité, rassemblées dans ce qui a été appelé la « Loi unique ». Cette loi était notamment justifiée par la détérioration de la situation financière de la Belgique suite, justement, à l’indépendance du Congo et à la perte de la colonie. Cette longue grève, dans la partie sud du pays surtout, marquera durablement le mouvement ouvrier et, plus largement, l’image de la Wallonie et la « conscience wallonne ». Cet événement conforta l’engagement de Maurice Chaumont dans son second principal champ de recherche : celui du mouvement ouvrier et de la sociologie du travail.

4À ses yeux la sociologie a pour tâche de mettre au jour les significations des conduites collectives. Comme il l’indique dans la conclusion de son texte, ces significations ne se laissent jamais enfermer dans des modèles théoriques simples ou dans des simplifications idéologiques correspondant aux objectifs de telle ou telle partie ; elles sont toujours multiples et complexes (comme c’est le cas pour la grève en question), liées à la pluralité des situations et des expériences en lien avec ces conduites collectives. En mettant au jour cette pluralité de significations et, souvent, les tensions voire les contradictions entre elles, les analyses du sociologue peuvent déplaire à certains acteurs, alors tentés de les disqualifier. Maurice Chaumont en a fait lui-même l’expérience, mais estimait que le sociologue ne pouvait se laisser intimider et avait à défendre l’analyse objective qu’il avait soigneusement menée.

5L’exigence d’un examen aussi précis et rigoureux que possible des réalités concrètes est indispensable, mais, pour dégager les significations des conduites collectives et des événements qu’elles produisent, ce travail empirique doit être guidé par une théorisation robuste et au clair sur ses propres présupposés et fondements épistémologiques. Chez Maurice Chaumont, cette théorisation porte non sur les structures sociales, mais bien sur le changement social, c’est-à-dire sur les réalités sociales en train d’advenir. Comme l’explique Jean Ladrière, pour Maurice Chaumont la réalité sociale est elle-même un processus, le processus de sa propre constitution (Ladrière, 1989, p. 49). Le changement étudié n’est pas exogène par rapport aux réalités sociales, mais endogène, produit par l’action même des acteurs. En 1969, Maurice Chaumont créera d’ailleurs à l’UCL, avec Philippe Nonet, le Centre pour l’analyse du changement social consacré à la théorisation du changement social, où seront formés, par la pratique de l’enquête articulée à une réflexion conceptuelle approfondie, de nombreux sociologues belges et étrangers.

  • 2 On trouvera une présentation détaillée de l’œuvre de Maurice Chaumont, d’autres textes de cet auteu (...)

6Pour Maurice Chaumont, on ne peut saisir les significations des conduites sociales et des événements (comme une grève ou un mouvement de décolonisation) et on ne peut analyser les changements auxquels elles participent sans les relier à la totalité sociale toujours en devenir. Pour lui, c’est le concept de mouvement social qui permet de faire ce lien. Cette conviction devait forcément le rapprocher d’Alain Touraine dont la diffusion de l’œuvre en Belgique doit beaucoup à Maurice Chaumont. Par ce concept, les conduites sociales et leurs significations, dans leur pluralité et leur diversité, sont inscrites dans une réalité plus large (en l’occurrence, principalement, la réaction à la crise de la société industrielle), qui n’est pas achevée, mais est toujours en acte. Comme Maurice Chaumont le montre bien dans son texte qui suit, le concept de mouvement social n’est pas un dogme théorique mais un outil heuristique, par lequel – dit Jean Ladrière – il « explique le social par le social ». Il reste, pour chacun, adhérent ou non de la perspective de la sociologie de l’action, une belle leçon de sociologie, qui incitera peut-être à (re)découvrir d’autres textes de cet auteur trop méconnu 2.

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Bibliographie

Ladrière J. (1989) « Une sociologie dialectique », dans Molitor M., Remy J. & L. Van Campenhoudt (dir.), Le Mouvement et la forme. Essais sur le changement social en hommage à Maurice Chaumont, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, pp. 47-61.

Molitor M., Remy J. & L. Van Campenhoudt (dir.), Le Mouvement et la forme. Essais sur le changement social en hommage à Maurice Chaumont, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis.

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Notes

1 Devenues depuis « Université Saint-Louis – Bruxelles ».

2 On trouvera une présentation détaillée de l’œuvre de Maurice Chaumont, d’autres textes de cet auteur ainsi que des commentaires de son œuvre dans Molitor, Remy & Van Campenhoudt, 1989.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Luc Van Campenhoudt, « Maurice Chaumont : une sociologie du changement social comme sociologie des réalités concrètes en train d’advenir »SociologieS [En ligne], Découvertes / Redécouvertes, mis en ligne le 02 novembre 2015, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sociologies/5137 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sociologies.5137

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Auteur

Luc Van Campenhoudt

Université Saint-Louis-Bruxelles et Université de Louvain, Belgique - vancampenhoudt@fusl.ac.be

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